Pierre-Yves Oudeyer, aujourd’hui directeur de recherche à l’INRIA de Bordeaux où il dirige l’équipe Flowers, vient de publier « Aux sources de la Parole, auto-organisation et évolution », un ouvrage qui fait le point sur plusieurs années de recherches commencées suite à ses travaux au Sony Computer Lab auprès de Luc Steels.
On connait Pierre-Yves Oudeyer pour ses recherches sur la robotique développementale, notamment pour ses travaux sur le thème du développement sensori-moteur et social de l’enfant (voir le Play Ground Experiment). La communauté des roboticiens connait Pierre-Yves Oudeyer pour ses travaux avec les robots Aibo de Sony ainsi que pour son développement d’un modèle de curiosité artificielle permettant l’exploration de son propre corps.
Dans ce nouveau livre, Pierre-Yves Oudeyer réalise une synthèse de son autre domaine de recherche, à savoir l’étude de l’origine et de l’évolution du langage et de la parole. L’originalité de sa démarche tient au fait qu’il associe le système abstrait classiquement étudié par les linguistes au substrat physique et biologique qui compose l’être humain et son environnement. Cet ancrage, relancé grâce aux neurosciences et aux sciences cognitives, est réalisé d’une part à l’aide des sciences de la complexité et plus précisément à l’aide du concept l’auto-organisation, rompant ainsi avec le réductionnisme classique, mais également, grâce à une modélisation algorithmique et robotique (ce qu’il nomme « naturalisation »).
L’auto-organisation est une propriété de systèmes composés de sous-systèmes en interaction dynamique. A l’instar des nids de termites, ou de nombreuses autres formes physiques ou biologiques dans la nature, ces systèmes ont une forte tendance à s’auto-organiser. Lorsque l’on décrit les systèmes complexes, on a souvent coutume de citer l’adage « la somme des parties est plus que les parties prises séparément ». De tels systèmes nécessitent pour être étudiés de nouveaux outils tels que la simulation numérique ou la robotique comme l’avait illustré la fameuse expérimentation des talkings heads de Luc Steels en 1999.
L’intérêt de la simulation et la modélisation à l’aide de systèmes hybrides algorithmes-robots est double. Les robots permettent d’une part de s’attaquer au fameux problème de l’ancrage des symboles dans la réalité (symbol grounding problem) qui consiste à comprendre comment les symboles peuvent prendre du sens dans la réalité. Les robots permettent d’autre part de prendre en compte l’influence du corps et de l’environnement sur l’acquisition des structures comportementales et cognitiques, ce que l’on appelle l’embodiement.
Fort du cadre théorique de l’auto-organisation et méthodologique de la modélisation à l’aide de systèmes robotiques, Pierre-Yves Oudeyer présente toute une série de travaux dans cet ouvrage qui concourent à proposer un modèle pour l’acquisition et l’évolution du langage et en premier lieu de la parole. Partant de la description du substrat biologique, puis passant par un rappel sur les concepts d’auto-organisation et s’appuyant sur les théories sur les origines de la parole, Pierre-Yves Oudeyer propose des scénarios et modèles plausibles expliquant les origines et l’évolution de la parole.
En 2008, Pierre-Yves Oudeyer avait donné une conférence au collège de France intitulé « L’auto-organisation dans l’évolution de la parole ».
Même si l’on n’est pas intéressé par le sujet du langage ou de la parole proprement dit, cet ouvrage est d’un intérêt certain pour les roboticiens et informaticiens. Clair et facilement abordable, Il démontre si besoin était qu’il peut être utile de construire pour comprendre et que la robotique est véritablement un outil d’intégration, utile dans pratiquement tous les domaines scientifiques. Tel sera peut-être la tendance de plus en plus marquée dans la recherche scientifique moderne : plus d’interdisciplinarité et apport de la modélisation algorithmique et robotique.